Theo

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jeudi 30 novembre 2023

Les Enfers pavés

Si longtemps j'ai guetté dans les vers et les rimes
la folie de Pythie, le souffle de Sibylle
et je me suis nourrie des plus noires des biles
jusqu'à descendre au fond de mes propres abimes


Qu'aurais je voulu être? Otage? Orage? Oracle?
J'avais des complexes et autant de syndromes
Un Œdipe inversé Cassandre ou bien Stockholm
Tout n'était que débats, délires et débâcles


Hululais je? Hurlais je à ces lunes trop pleines?
QUI du loup? Du Hibou? De l'Ogre? De l'Enfant?
Qu'ont donc les poètes de vraiment terrifiant?
Mère-Grand comme Arthur s'en venaient des Ardennes


Car là-bas, m'a-t-on dit, des écharpes de brume
qu'auraient tissées en chœur les aurores, les soirs
pendent avec charme aux cous des monts tous noirs
Si tu lèves les yeux, c'est la voûte qui fume!


Comme ce mage gris assis sur le rivage
s'amuse de ces ronds, de volutes exquises
Le ciel est en nage, coiffé d'une marquise
jouant de son hautbois au milieu des nuages


Le long d'une eau sans nom, me voici à rêver
de l'effet sur nos coeurs d'un couplet enchanteur
Le Temps est ainsi fait de bleuets et de leurres
recouvrant volontiers nos beaux Enfers pavés. 

mercredi 21 juin 2023

Des Astrophages

Il faudrait pour tisser toiles d'or et d'argent
dévorer le soleil puis avaler la lune
mais l'Hiver a régné trop longtemps sur la dune
recouvert nos bouches d'un suaire affligeant.

Dis-moi qu'il est des soifs, des soifs inextinguibles
Dis-moi qu'il est des faims qui jamais ne s'apaisent
Dis-moi que des souffles s'échapperont des braises
Dis-moi qu'à Poesis tout est encor possible...

Dis-moi qu'il est des mots dont on ne guérit pas
des mers immortelles au bout de l'horizon
et des larmes de feu comme mille tisons
qui font fondre les cœurs sur les aires de combat.

Je mangerai les nues pour faire un rêve bleu
Bien plus bleu que l'azur inondant Santorin
Bien plus bleu qu'un génie exhausteur d'Aladdin
Plus bleu que la tête de cet oiseau sans queue?

Il faudrait pour tisser toiles d'os et d'orient
dévorer cauchemars puis avaler le sable
qui coule des panses, des six bottes du Diable
Il faudrait comme lui trépasser en riant!

Dis-moi qu'il est des maux qui s'oublient dans l'opium
des douleurs arc-en-ciel au bout des perfusions
des astres amoureux, des volcans d'effusions
des reines à quérir dans d'étranges royaumes.

Dis-moi qu'il est Eden par-delà les abîmes
des songes et des miroirs dont on ne revient pas
des bordées d'aigles fous dans les yeux des sherpas
Dis-moi que les chamans mastiquent bouts de rimes.

Je mangerai l'éther pour naître à demi-dieu
sur la grève brûlée d'un ancien archipel
Les vents s'endormiront aux creux d'une chapelle
où pousseront des fleurs entre ses murs plus vieux.

vendredi 16 juin 2023

Le Heurtoir

Je tenais dans ma main - ce soir - une autre main
Celle d'une femme - elle était dure et froide
Sa main dans la mienne - sur le seuil du destin
toquait à la porte - quatre coups en saccades.

Mais personne ne vint. La porte resta close.
La main ne bougeait plus. Serait-elle endormie?
Alors entre ses doigts - je glissai une rose
puis partis tristement non sans avoir promis...

de revenir un jour...ce que je fis longtemps
longtemps après. La porte était encor fermée
et la main disparue. Alors le cœur battant
je saisis un soleil. Me voilà bien armée

pour cogner sans vergogne aux vantaux du hasard
mais l'astre me brûla et laissa dans ma paume
un visage tout noir. C'était celui d'Ishtar.
J'emportai avec moi le douloureux fantôme

Car la porte jamais n'accepta de s'ouvrir
même après que tant d'eau eut coulé sous les ponts
La mousse sur le bois vint lentement fleurir...
Un marmot à présent rêvait sous ses jupons.


London Box

Je reviens d'une nuit toute agitée de rêves
le nom d'une ville sur le bout de mes lèvres
Poème, quant à lui, s'est enfui comme un lièvre
m'a posé un lapin - plantée là sur la grève!

Quand on dort, parait il, le cerveau ralentit
du côté de Wernicke ( Oyez les nycthémères!)
du côté de Broca... Un gamin "Nique tes mères!"
dans la rue endormie - Descendez ce yéti!

On ne lit ni n'écrit lorsque les hommes songent
Cette idée chez savants fait l'unanimité
Et pourtant l'exception à tous ceux habités
tout le jour par ces mots dont ils sont les éponges

Je reviens d'une nuit secouée d'illusions
Une fille blonde récitait mon poème
sur un bout de trottoir et la lune était blême
Il n'en reste qu'un titre après tant d'infusions

Puis ce dernier sourire au fond de la Tamise
Je reviens d'une nuit toute agitée de rêves
où la Rime coulait en abondante sève
mais la fille est partie, mes vers dans ses valises.


Une vie de chien

Les années me feront rengainer tant de larmes
quand le cœur n'en pourra vraiment plus de pleurer
de ces orages qui font trop trop de vacarme
si Béance Aujourd'hui me laisse demeurée

Ahurie devant tant d'absence incompressible
et ce cœur érodé par les eaux tel rocher
devient du grand vide la triste unique cible
Mon ami a pris tôt la barque du nocher

S'il n'y a rien de plus - rien d'autre qu'ici-bas
Alors viens te coucher au creux de ma mémoire
Sur des coussins douillets au cœur de notre isba
Faisons donc comme si cette putain de moire

n'avait jamais pointé sur toi le couperet
Tu es là contre moi et j'écoute ton cœur
Te voilà endormi, je t'entends respirer
Nous voilà toi et moi les rois des escroqueurs

Une balle pelée attend entre tes pattes
car elle vaut pour toi tous les trésors du monde
Pluton peut bien garder ses méduses, ses boîtes
Demain nous rejouerons sans perdre une seconde

Au lac, au bois, au parc, où bon il te plaira
Je te promets des prés, des champs et des forêts
des siestes canapé, blotti entre mes bras
malgré tes ronflements de tout petit goret...


lundi 12 juin 2023

In the Night Garden

C'est un jardin de nuit où poussent de grands marbres
où des crânes pendent de leurs bras par centaines
comme autant de pommes accrochées à des arbres;
En son centre - soupire - une vieille fontaine

dont le ventre bruissant déborde de souhaits;
Le manoir a depuis longtemps fermé les yeux;
Les pluies ont infligé aux volets bien des plaies,
chagrins à contrevent, des ombres, des adieux...

Que fais je ici, ce soir, dans ce jardin maudit?
La lune blafarde dans l'eau noire se mate;
Les crânes chuchotent d'obscures tragédies
claquant des mâchoires comme des automates.

Sans doute ai-je suivi des pas sur le chemin
et l'écho douloureux d'une voix cristalline
enivrée par l'odeur de ces murs de jasmins
qui se dressent en haut d'une unique colline.

Une grille s'était, dans un rire strident,
ouverte - lentement - laissant là s'échapper
poussières et rouilles entre ses longues dents
que Ténèbre vorace s'empressait de laper.

Et j'ai vu ce jardin où poussaient de grands marbres
où des crânes pendaient de leurs bras par centaines
comme autant de fruits morts accrochés à des arbres
comme autant de cœurs mûrs palpitant à leurs veines.

lundi 5 juin 2023

OUROBOROS

Parfois je me souviens d'une larme d'Apache
offerte un peu trop tôt aux serpes de l'aurore;
Elle avait roulé, là, sur ma joue sans attache
C'était je crois l'hiver dehors l'hiver encore.

Tu avais ce matin choisi triste pierre
et moi sans le savoir les ciseaux d'Atropos
pour couper du destin les ailes et le lierre;
En dernier, la tête de cet ouroboros.

Là-bas, il semblerait que le désert avance
la faute à qui Crénom?! Au vieux marchand de sable?
La mort toujours d'un coup de dés pipés devance
Les dunes demeurent des ogres insatiables.

Aphrodite n'est donc qu'affres au très long cou
Sur l'eau si lisse d'un étang glisse le cygne
noir - glisse - glisse en silence - sans un remous
Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la vigne.

Un cygne noir glisse en douceur - glisse en silence
comme une nef parmi les nénuphars inquiets
et cette brume qui flotte avec indolence
Reste-t-il des balles dans notre barillet?